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J’entends chanter la fille damnée [Abbigail]

 :: Réminescences
Ven 5 Juin - 12:31
J'entends chanter la fille damnée
Sa voix égrène les malheurs à venir…

19 mai 1497. Attendre que la nuit tombe. Sortir de sa chambre par la fenêtre, le long de la solide glycine qui grimpait depuis des années à l’assaut du mur. Se faufiler dans le jardin entre les bosquets de camélias et les massifs de rhododendrons dont il connaissait par cœur l’emplacement. Atteindre la poterne sud, discrètement. Donner sa pièce à Marten, de ronde ce soir-là, puis se perdre dans les faubourgs de Dorvoden. Un jeu d’enfant. Tellement rôdé que Felician aurait pu l’exécuter les yeux fermés. Il le faisait parfois, par goût du défi. Au fond c’était la seule chose qui le poussait à s’imposer autant d’acrobaties pour quitter le château sans que son père ne le sache alors qu’il aurait aussi bien pu s’en moquer et passer la porte comme un prince, toute la morgue du monde gravée sur son beau visage. Il l’avait fait, une fois. Ça lui avait gâché sa soirée et il avait eu plus de peine que d’habitude le lendemain à soutenir le regard glacial, acéré du comte.

Malgré toute l’insolence dont il pouvait se draper, l’angoisse ne lui nouait pas moins les entrailles à chacune des escarmouches livrées avec son père. Un fantôme de terreur dont il sentait l’haleine glaciale sur sa nuque, quand bien même elle traînait dans son sillage le souffle cuisant du bûcher qui hantait ses rêves. Au moins ces spectres l’empêchaient de pousser trop loin ses provocations. Il ne l’aurait jamais reconnu à voix haute mais il savait sur quels terrains il pouvait battre en brèche les limites de la patience du comte et ceux qui étaient trop glissants pour qu’il s’y risque. Il valait mieux se montrer prudent avec un ennemi haï. Ça n’ôtait pas grand-chose à ces plaisantes escapades de toute façon.

Il manquait encore une bonne heure avant la minuit quand Felician atterrit avec un son mat sur la pelouse au pied du mur, après avoir sauté des derniers mètres de glycine. Vif comme un furet, il s’élança presque immédiatement entre les massifs de roses et les silhouettes élancées des poiriers, chargés de délicates grappes de  fleurs blanches que la lune nimbait de reflets lactescents. On était à la fin d’un printemps particulièrement doux et la fraîcheur de la nuit était d’une douceur agréable après la chaleur de la journée. Le parfum des fleurs, comme endormi dans l’obscurité, semblait flotter au ras du sol en compagnie de celui de la terre et de l’herbe humide.

Felician l’inspira à pleins poumons tandis qu’il filait toujours en direction de la poterne sud, l’étui de sa lyre contre l’épaule. Tout se déroulait parfaitement et cette certitude l’emplissait d’une excitation conquérante comme si la nuit toute entière était déjà sienne, qu’elle n’attendait que lui, s’était faite belle pour lui et qu’il en allait de même pour tout un chacun. Au moment où il franchit la muraille en soudoyant le garde, il lui paraissait inconcevable que Dorvoden puisse se réjouir pleinement sans sa présence. Il se dépêcha donc de disparaître dans les faubourgs blottis non loin du mur d’enceinte du château, perché sur sa colline, rejoignant à grand-pas les tavernes animées du quartier du Roya.

La taverne de la Tête de Tschart n’avait quasiment rien pour se démarquer de ses concurrentes si ce n’était le lustre accroché à son plafond qui avait aidé à baptiser l’endroit. Étant donné la forme des bois supportant les chandelles de suif, c’était d’ailleurs plutôt une tête de fiellon. Felician l’avait fait remarquer un jour. Le tavernier n’avait pas osé l’envoyer paître à cause de ses beaux vêtements et de son noble lignage mais le regard mauvais qu’il lui avait lancé avait tellement amusé le jeune homme qu’il se faisait maintenant un plaisir de venir dans cet établissement-ci, et pas un autre. Cette nuit ne dérogea pas à la règle et il y dirigea ses pas avec assurance comme un seigneur en son domaine.

Après la pénombre lunaire et la plaisante fraîcheur nocturne, la chaleur enfumée, alourdie d’éclats de voix et de vapeurs d’alcools de la salle principale lui éclata au visage et il en accueillit le bref étourdissement avec un sourire. Quelques habitués le reconnurent alors qu’il commandait une peinte de faro au comptoir et on le salua avec cette effronterie matinée de défiance que l’on réservait à tous les jeunes nobliaux venus s’encanailler ouvertement avec le commun. Felician rendit les saluts et paya quelques coups, comptant sur la générosité pour effacer l’incongruité de sa présence. Au bout d’un quart d’heure, il s’était fondu dans la masse malgré la richesse indéniable de son pourpoint de satin doré, brodé des bruyères carmines de la maison Talanesa, et il braillait à tue-tête pour porter un toast avec toute l’assemblée. Aussi ne remarqua-t-il pas tout de suite la jeune femme blonde aux yeux couleur de ciel d’été…

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Ian Cigale
Ian Cigale
Ian Cigale
Insignifiant
Ian Cigale
Sam 6 Juin - 15:29
Le soleil était encore haut dans le ciel, berçant de doux rayons un paysage qui semblait magnifique aux yeux de la jeune Abigail. Poussée par ses rêves elle rejoignait pour la première fois cette ville. Entre deux arbres, se dessinait le contour impeccable de sa destination. Le mince sourire innocent sur le visage de la jeune voyante indiquait la fin de ce trajet qui avait bien duré. L'idée d'être près d'un centre de civilisation n'était pourtant pas ce qu'elle préférait, mais l'idée de retrouver à nouveau des personnes à qui parler, avec qui vivre quelques instants, était bien plus que plaisante. La native de Roggeveen n'avait guère croisé beaucoup de monde depuis quelque temps, pas de compagnon de voyage et très peu d'arrêt auprès d'autres êtres amicaux. Alors, au moins pour cette fois, l'idée de se trouver là était plus que plaisante. Il restait encore un peu de marche à la jeune femme avant de rejoindre cette civilisation, puis elle se perdrait entre ces constructions de pierre et de bois avant de trouver son gîte pour la nuit à venir.

Depuis quatre années maintenant elle avait parcouru de nombreuses terres. Les grandes cités avaient tendance à avoir une aura de mal honnêteté qu'elle déplorait depuis. Mais au milieu de ces terrains ombragés, il était possible de trouver certains havres de joie au milieu de ces lieux. Bien souvent, lieux de débauche, de musique et de boisson, ces havres étaient des endroits bien plus intéressant que les habitants maugréant hors de ces endroits pleins de vie. Il fallait les trouver, ne pas les confondre avec les lieux les plus mal-famés ou les trous obscurs des plus déprimés. Après avoir passé ce moment impressionnant ou elle découvrait la ville, la jeune Abigail cherchait bien souvent son lieu de repos dans lequel elle espérait pouvoir trouver un peu de joie de vivre.

Le soleil était maintenant en plein déclin, les regards de certains indiquaient leur étonnement de trouver une jeune femme nouvelle en ville errer dans un tel quartier. La source portait toujours un fin sourire, elle avait confiance dans ses chances. Quelques minutes, auparavant, elle avait déjà visité quelques établissements qui, malgré une identité propre intéressante, ne semblaient guère être l'endroit qu'elle cherchait. Elle avait tourné dans cette ville depuis maintenant un long moment, traînant sur son dos un sac qui commençait à peser. Il lui tardait de trouver son lieu de séjour. C'est au sud de la cité, dans un quartier non loin des remparts de la cité, qu'elle finit par trouver son bonheur. L'endroit, empli de vie, semblait gagner en énergie tandis que le soleil perdait du terrain. Elle y rentra et demanda une chambre. Déposant son sac dans cette pièce à l'état, elle n'y resta guère longtemps. Ce lieu plein de vie l'appelait et elle répondit avec joie à cet appel. Depuis l'étage, elle observa cette foule qui s'amassait en bas. De la lumière, partout, fatiguant autant qu'amusant les yeux. Du bruit à ne plus finir, rires, voix et fracas de bière venant rappeler que l'endroit respirait d'une énergie offerte par la nuit. Les vapeurs d'alcool venaient chasser la plupart des autres senteurs du lieu. Avec à la main son cahier elle prit un peu de temps pour dessiner cet endroit plein de vie. S'il n'y avait pas la beauté d'un lac reflétant la voûte céleste par une nuit claire, la taverne de la Tête de Tschart avait une autre aura, celle de la joie de vivre. C'était ce genre d'émotions, d'instants qu'il était important de conserver.

Dehors, le soleil finit de chuter, désormais le changement de jour était proche. Le lieu avait continué de se remplir, jusqu'à ce qu'il y est bien trop de visage pour que tous se connaissent. La jeune voyante se décida à quitter son perchoir, laissant avec ses affaires un dessin entamé, mais loin d'être terminé. En bas elle se perdit à profiter de cette ambiance rendue plus joyeuse par l'alcool pour bon nombre de personnes présentes ici. C'est dans ces instants qu'on oublie que certaines personnes peuvent être des choses emplies de haine et de colère. Qu'on oublie que certains hommes sont plus proches de l'état de monstre que d'humain. C'est au milieu de ce moment agréable qu'elle aperçu un homme sortant quelque peu de l'ordinaire. Loin des tenues pauvres de la majorité des clients, il semblait déjà afficher une richesse bien supérieure dans ces vêtements.

Un étrange sentiment l'envahi tandis qu'elle le voyait. Si elle ne pouvait expliquer clairement ce que c'était, une chose était certaine, c'était lié à ses pouvoirs. Un instant, elle eu une forte crainte, une crainte que ses capacités ne se manifestent là, attirant sur elle bien trop de regards. Heureusement, rien ne sembla naître de cela. Seule une étrange sensation, un sentiment, qu'il n'était pas possible de couvrir par des mots. Soulagée, elle ne resta néanmoins pas sans questions. Pourquoi avait-elle cette... Émotion ? Impossible de le dire, le plus simple sera probablement d'en apprendre un peu plus sur cet homme. Calmement, la jeune femme s'approcha de l'homme, le saluant d'une révérence maladroitement effectuée. Elle avait vu certains saluer d'autres personnes ainsi, sans jamais savoir comment le faire. Cette courbette ratée pouvait paraître être une simple exagération pour certains.

« Monsieur, un plaisir... Vous... Me semblez étrangement familier, pourrai-je avoir le plaisir d'en savoir un peu plus sur vous ? »

Peut-être était-ce là un peu étrange, venant d'une voyageuse à peine arrivée en ville, mais elle ne savait contrôler cette curiosité.
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Abigail de Roggeveen
Abigail de Roggeveen
Champion de la noblesse
Abigail de Roggeveen
Érudit
Abigail de Roggeveen
Sam 6 Juin - 17:10
J'entends chanter la fille damnée
Sa voix égrène les malheurs à venir…

Felician avait déjà oublié avec qui il trinquait quand elle s’avança vers lui. Il remarqua d’abord les reflets couleur miel dans sa chevelure quand elle s’approcha sous les chandelles et elle esquissa une révérence au moment où il tournait la tête dans sa direction. Ce salut malhabile était tellement saugrenu dans un endroit pareil qu’il ne put masquer la surprise sur son visage alors que la fille lui adressait la parole avec une demande… inattendue. Son regard la balaya rapidement de pied en cap. Jeune, petite et menue, des traits agréables sous ses cheveux blonds et des yeux d’un bleu saisissant. Il était presque sûr de ne l’avoir jamais vue auparavant et cette hypothèse était renforcée par ses vêtements de voyage encore maculés de la poussière de la route, et pourtant elle affirmait qu’elle l’avait peut-être déjà rencontré. Mais qui était-elle donc ? Que lui voulait-elle ? Les questions cessèrent de ricocher sous son crâne lorsqu’il entendit les ricanements appréciateurs de ses voisins de comptoir. Aussitôt, Felician reprit contenance, se laissa nonchalamment aller sur son tabouret et lui adressa un sourire enjôleur :

« Familier, ma jolie ? T’aurais-je déjà courtisée ? »
« Ou p’tet un peu plus que ça, hein ! »

Le jeune homme rit brièvement avec les autres avant de vider sa chope d’une traite. Décroisant ses longues jambes, il quitta son siège et passa un bras autour de la taille de l’inconnue pour l’entraîner à une table un peu plus loin, ignorant les commentaires gouailleurs qui saluaient son geste. Tant mieux, du reste. Il était important qu’un jeune noble, riche et en bonne santé comme lui s’intéresse à la compagnie des femmes. Il était important qu’il se montre charmeur, qu’il scrute leurs formes à la dérobée avec satisfaction, qu’il agisse comme s’il attendait quelque chose d’elles. Il était important qu’il obtienne aussi quelques faveurs de temps en temps, même s’il n’en avait pas la moindre envie. Il le fallait s’il voulait garder le malheur à distance. C’est pourquoi il adressa un clin d’œil à la pauvre fille qui n’avait rien demandé, si ce n’est faire connaissance :

« Ne prête pas attention à ces butors, ma damoiselle. Ils ne savent pas qu’il faut se montrer délicat avec une fleur des champs telle que toi. Je m’appelle Felician mais je t’en prie, Felis suffira bien pour ce soir. Elsabet ! Apporte donc deux pintes par ici ! »

Prenant place à la table marquetée de dizaines de vieilles traces de verres et de chopes, il lui désigna la chaise adjacente sans cesser de lui sourire. Heureusement pour lui, il se savait joli garçon même s’il n’était pas un solide gaillard au visage carré comme ses frères. Avec l’assurance dont il était capable de faire preuve, il pouvait se permettre de conter fleurette aux filles.

« Et toi, qui es-tu ? Si tu ne me connais pas, c’est que tu ne viens pas souvent à la Tête de Tschart. »

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Ian Cigale
Ian Cigale
Ian Cigale
Insignifiant
Ian Cigale
Dim 7 Juin - 22:13

L'homme resta un instant perturbé, la jeune voyante ne savait expliquer l'origine de ce bref malaise. Le silence gênant fut bientôt brisé par les ricanements des camarades de l'homme. Le regard d'Abigail bifurqua l'espace d'un instant, se posant sur ces hommes. Il n'était pas nécessaire d'avoir des dons de voyance pour comprendre le discours qui allait arriver. La jeune source ne s'était jamais formalisé de quelques rencontres de ce genre, bien qu'elle craigne parfois les comportements de certaines personnes, l'enthousiasme et l'humeur positive naissante n'avaient rien de mauvais. Tant que les choses n'étaient pas forcées jusqu'à devenir dommageable, la source ne voyait aucun intérêt à se formaliser de ces événements. Entendant les rires des autres hommes son interlocuteur sortit de cette brève torpeur. Il laissa tomber la surprise pour se donner un air charmeur, demandant s'il avait déjà courtisé la jeune femme. Les autres en rigolèrent, Abigail ne répondit guère. Qu'ils rient, si cela apporte un peu de joie, tant mieux. Après tout il y avait fort à parier qu'ils ne souviendraient guère de tout au petit matin.

Pour le moment elle se souciait plus des questions qu'elle avait à propos d'un seul homme. L’intéressé termina son verre, se dressa, puis rejoint la jeune prophétesse. Il passa sa main autour de la taille de la native de Roggeveen pour l'emmener avec lui. Bien qu'inquiète un instant, elle ne dit guère plus. Tandis qu'il amenait la voyante jusqu'à une table un peu plus loin les hommes derrière semblaient rigoler de cette situation. Dans un lieu comme celui-ci on s'attend rarement à beaucoup de choses différentes lors de la rencontre entre deux jeunes personnes. L'un drapé de vêtements prouvant une richesse presque indécente dans un tel endroit et l'autre cachant du mieux qu'elle pouvait un don que les plus grands mages envient et que les plus humbles des paysans méprisent. Si d'apparence cela n'était qu'un jeune homme et une jeune femme s'asseyant à une même table avant de se rapprocher un peu plus, le destin avait un goût pour les faux semblants qui faisait de cette situation peut-être l'opposé de ce qu'elle semblait. Une fois attablés, la conversation allait pouvoir débuter. Poli et charmeur le jeune homme s'empressa de s'excuser pour les actes des autres hommes, ne manquant pas d'employer des termes montrant une certaine poésie. Il commanda deux pintes qui, bientôt, viendraient rejoindre toutes les autres qui ont souillés le bois de cette table. Abigail acquiesça, souriante puis répondit.

« Il n'y a aucun soucis Felis. J'ai connu pire situation que quelques rires et la rencontre avec un homme tel que vous. »

Assise autour de cette table avec ce jeune homme elle plissa un instant les yeux, dévisageant sans retenue l'homme face à elle. Il cherchait à savoir qui était la jeune femme qui était venue ainsi le voir, affirmant que pour ne pas le connaître elle ne devait que rarement venir dans cet endroit. La jeune source resta sans répondre quelques secondes, à scruter les traits de son interlocuteur. Après quelques instants de battant quelqu'un vint remettre les boissons commandées par l'homme, la source revint à la discussion en les entendant heurter le bois dessous.

« Non en effet, je ne suis pas une habituée. Je m'appelle Abigail. »

Elle prit une des pintes, la plaçant devant elle, puis perdit son regard dans les yeux de l'homme face à elle.

« A dire vrai, je ne suis guère une habituée de cette ville non plus. C'est mon premier séjour ici. Et je crois être arrivé en ville pour plusieurs raisons, mais je vois en vous l'un d'elle. »


Elle répondait et réfléchissait en même temps, ne cessant d'observer, peut-être un peu trop intensément, le jeune homme face à elle. Elle avait toujours cette sensation inexplicable et sentait presque qu'elle arrivait à entrevoir quelque chose ici.
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Abigail de Roggeveen
Abigail de Roggeveen
Champion de la noblesse
Abigail de Roggeveen
Érudit
Abigail de Roggeveen
Mer 10 Juin - 9:01
J'entends chanter la fille damnée
Sa voix égrène les malheurs à venir…

« C’est un plaisir, Abigail. Laisse-moi t’offrir cette pinte pour fêter notre rencontre. »

Galanterie toute stratégique. Les gens pardonnent toujours plus aisément la richesse quand elle est généreuse et mieux vaut distribuer la moitié de sa bourse que de se faire détrousser de la totalité, en particulier quand il s’agit de l’argent du comte. Felician paya donc la serveuse sitôt qu’elle eut déposé leurs boissons à table, lui ronronnant un remerciement avant de reporter toute son attention sur Abigail. Même s’il réservait son jugement pour l’instant, il pouvait déjà affirmer sans trop se tromper qu’elle avait du cran, malgré sa discrétion. Une fille plus farouche se serait laissée intimider par les remarques gouailleuses des autres clients ou par ses compliments et sa proximité. Celle qu’il avait face à lui ne s’était pas démontée, affirmant avoir vécu plus embarrassant. C’était certainement le cas, si elle voyageait toute seule comme sa tenue le suggérait. Pourtant, elle lui semblait bien jeune, certainement plus que lui-même. D’où pouvait-elle venir ? Elle parlait la langue commune avec un accent plus rugueux que la prononciation cintrasienne qui le faisait parier sur l’une des contrées du nord mais il aurait été bien en peine de dire laquelle. Et de toute manière, la réponse qu’elle fit à sa question en le regardant droit dans les yeux l’empêcha d’y songer plus avant.

L’espace d’une fraction de seconde, Felician se raidit et sur l’arc de ses épaules vibra un flot de pensées alarmantes qui sifflèrent dans sa tête telle une volée de flèches. Cette fille, quelle qu’elle soit, était venue jusqu’ici pour le rencontrer, c’était ce qu’elle venait de dire. Pourquoi ? Que lui voulait-elle ? Qui était-elle réellement ? Le jeune homme se demanda un instant si le Feu éternel comptait des inquisitrices dans ses rangs et sur quel genre de rumeurs au sujet du fils débauché des Talanesa on l’avait envoyée enquêter. L’éclat des chandelles disséminées un peu partout dans la taverne se fit soudain intolérable alors que la lourde odeur d’alcool, de sueur et de corps crasseux en mouvement se muait en un atroce remugle de chair calcinée, accompagné de cris… Cela ne dura que le temps d’un battement de paupières. Après quoi, Felician se reprit et éclata de rire, manifestement surpris. Il l’était en partie mais il cherchait surtout à gagner du temps.

« Et bien… Une charmante jeune fille comme toi qui vient jusqu’ici exprès pour me rencontrer ? J’en suis honoré, même si je ne pensais pas que mes vers étaient déjà célèbres en dehors des frontières de Dorvoden… »

Masqué derrière cette gentille ironie, il réfléchissait aussi vite que possible sans quitter Abigail de ses yeux fauves, recomposant peu à peu son assurance et son calme. Cette histoire d’inquisitrice était plus invraisemblable qu’autre chose. Le Feu éternel faisait rarement dans la discrétion et la subtilité pour débusquer ses proies. Il préférait envoyer ses effrayantes légions en armure, comptant sur leurs sinistres menaces et le fracas de leur présence pour apeurer les foules et les pousser à coopérer, c’est-à-dire à vendre leurs amis et leurs proches qui avaient le malheur de vivre légèrement en dehors de leur carcan étroit. Et puis une espionne ne l’aurait pas abordé aussi directement. Toutefois, même si cela semblait improbable, il devait rester prudent. Le monde était riche de bien plus de périls qu’il pouvait en imaginer. Lampant une gorgée de bière, il se pencha vers elle avec un nouveau sourire, joueur.

« Tu attises ma curiosité. D’où viens-tu ? Et qu’est-ce qui te plaît tant chez moi ? »

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Ian Cigale
Ian Cigale
Ian Cigale
Insignifiant
Ian Cigale
Jeu 16 Juil - 21:07
La jeune source acquiesça, si certains veulent offrir, pourquoi s'en priver ? Depuis son départ du temple il y a maintenant ce qui semble être une éternité, elle n'a jamais vraiment eu de nombreuses richesses. Alors les petites politesse de certains sont plus qu'appréciables. Au fil des voyages certains avaient offert un peu de leur temps ou de leur argent, par intérêt ou curiosité, à la jeune femme. Face à elle l'homme semblait se poser des questions, réaction sensée face à la source. Celle-ci ignorait en bonne partie comment se comporter ici, ni vraiment comment il était attendu qu'une jeune femme se comporte face à ce jeune garçon de noble lignée. Cette audace étrange était portée par les voix, les visions, les événements qui parsemaient le paysage entourant la jeune prophétesse. Au milieu de ces visions Abigail avait distingué le visage de cet homme.

Cet instant de doutes, d'hésitations, de questions, fut rapidement interrompu. Durant ce bref moment déstabilisé, le jeune homme rigola à plein poumons en retour des mots de la jeune Abigail. Si Felician était surpris, la jeune prophétesse le fut également en le voyant rire ainsi. Ce périple pour comprendre son destin ne faisait que débuter et Abigail n'avait pas encore compris vraiment comment expliquer ce qu'elle était ou pourquoi elle était, après tout elle avait bien assez de mal à le comprendre. Ainsi expliquer aux autres la nature de son être et de sa raison était encore plus complexe que l'appréhender, après tout si elle qui vivait au milieu de cet univers de pensées et de visions ne le comprenait pas vraiment, comment eux le pouvaient-ils ? Bien que surprise par ce rire soudain la native Roggeveen sourit en retour au rire de l'homme face à elle. Finalement le jeune Felis reprit la parole, vantant l'honneur d'avoir une demoiselle comme elle venir ici pour le voir. Il attribuait cette victoire à ses talents de bardes. Bien qu'elle appréciait l'usage des mots et de la musique pour cet art, elle n'était nullement ici dans ce but. La jeune femme ne savait que répondre aux mots de son interlocuteur, afin d'éviter de se perdre en paroles elle prit une gorgée d'alcool, se cachant quelques instants derrière la pinte.

La légère curiosité dont il fit preuve amena des questions auxquelles Abigail ne souhaitait pas vraiment répondre, ou tout du moins pas aussi honnêtement qu'elle pourrait le faire pour d'autres interrogations.

« Roggeveen, Abigail de Roggeveen. Mais cela fait bien longtemps que j'ai quitté cette ville. Aujourd'hui... »


Elle se tourna un instant, pointant la rue.

« Je viens plutôt de là-bas, d'un peu partout, depuis maintenant longtemps. Pour dire, il y a beaucoup en vous que je vois. Pour autant, il est un peu tôt pour dire que cela est plaisant. Et même, ce n'est pas à moi d'en décider. »

Elle pouvait entrevoir quelques petits choses sur cet homme face à elle, des détails, loin d'être une réelle vision. Mais il l'intriguait. Pourquoi lui ? Probablement avait-elle était guidée ici pour le voir lui, pour annoncer, voir ou entendre quelque chose. Mais la nature de cette chose lui échappait encore. Peut-être cela allait-il changer avec le temps qui passait.

« Mais dites moi Felis, vous me vantez vos vers et pourtant je n'en ai pas encore entendu beaucoup. »
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Abigail de Roggeveen
Abigail de Roggeveen
Champion de la noblesse
Abigail de Roggeveen
Érudit
Abigail de Roggeveen
Sam 15 Aoû - 16:34
J'entends chanter la fille damnée
Sa voix égrène les malheurs à venir…

« Roggeveen. C’est en Rédanie, non ? Un long voyage pour une femme seule… »

Il s’était davantage fait la remarque pour lui-même, jouant distraitement avec la pointe de ses cheveux noirs alors qu’il la regardait, appuyé sur la table. Le Saint-Empire. Le berceau du Feu Éternel. Il savait qu’il avait tort mais il ne pouvait penser à rien d’autre en plongeant son regard dans le bleu cru des yeux qui lui faisaient face. Sa vieille compagne, la haine familière qui dormait dans son cœur se réveilla en ronronnant et réchauffa un bref instant sa poitrine avant qu’il ne calme sa brûlure de quelques caresses, la congédiant peu à peu. Il ne servait à rien d’y penser, de réveiller une fois de plus les cendres froides du passé quand bien même leur amertume ne le quittait pas. Elles ne l’aiderait pas à comprendre les propos sibyllins d’Abigail ni à deviner ce qu’elle pouvait réellement lui vouloir.

Elle parlait étrangement, comme si elle n’avait pas prise sur les évènements, leur rencontre y compris. Cela signifiait-il qu’elle n’était pas là de son plein gré ? Qu’elle obéissait à quelque chose ou quelqu’un ? L’idée qu’elle soit une espionne ou une inquisitrice revint lui effleurer l’esprit et y tournoya comme une mouche autour des reliefs d’un repas même si elle ne trouvait pas de prise où s’accrocher. Quelque chose ne collait pas. Une dissonance entre l’aplomb dont elle semblait capable et l’hésitation qui imprégnait ses gestes à d’autres moments. Felician ne savait pas quoi en penser si ce n’est qu’il devait se montrer méfiant et la garder encore à l’œil. Par ailleurs, il n’eut pas davantage le temps de pousser ses réflexions.

Un sourire conquérant éclaira son visage et il tapa vigoureusement dans ses mains avant de s’exclamer :

« Par ma foi, c’est exact et c’est une honte ! Permets-moi de combler sur-le-champ cette lacune… »

Aussitôt, il éclusa le reste de sa pinte en trois gorgées, récupéra l’étui de la lyre suspendu dans son dos pour s’emparer de l’instrument et entreprit de l’accorder, ce qui n’était pas une mince affaire dans le brouhaha ambiant mais il en avait l’habitude. Son manège attira l’attention de quelques habitués et on se fit passer le mot en riant dans la taverne : le nobliau allait pousser la chansonnette. C’était loin d’être la première fois et c’était relativement apprécié. N’en déplaise à ses différents professeurs, Felician avait acquis l’essentiel de ses talents de musicien dans l’atmosphère enfumée de la Tête de Tschart, en plus d’un impressionnant répertoire d’airs populaires et de chansons paillardes. Pour cette fois-ci, puisqu’on lui avait demandé un aperçu de son propre talent, il se lança dans une composition de son cru. Grattant les cordes de sa lyre pour se dégourdir les doigts, il improvisa un air guilleret et sautillant tout à fait adapté au début de soirée dans une taverne graisseuse et des paroles qui avaient le mérite d’être facile à reprendre :

Oh ma belle, ne ferme pas ta fenêtre
Ne ferme pas ta fenêtre quand tombe le soir
Oh ma belle, ne ferme pas ta fenêtre
Ou voilà ce que tu manquerais

Tu manquerais tous les rires des étoiles
Qui épuisent leur danse sur la voûte du ciel
Les fleurs du jardin au parfum de miel
Et la nuit complice qui me prête son voile


Un violon l’avait rejoint, ainsi qu’une flûte, jaillis d’on ne sait où. La percussion était assurée par tous les clients qui frappaient en rythme de leurs mains, de leurs pieds ou de leurs chopes sur les tables. Concentré mais joyeux, Felician se laissait gagner par l’ambiance entraînante et riva ses yeux à ceux d’Abigail pour le couplet suivant, son sourire de séducteur épinglé sur les lèvres.

Oh ma belle, ne ferme pas ta porte
Ne ferme pas ta porte quand règne le nuit
Oh ma belle, ne ferme pas ta porte
Ou voilà ce que tu manquerais

Tu manquerais mon pas léger pour te rejoindre
Et tous les mots brûlants de mon désir
Jusque sur ton seuil je viendrai les offrir
Avec tous les baisers dont je veux t’étreindre


Des sifflets et des rires saluèrent l’allusion et Felician faillit se laisser déconcentrer par quelques plaisanteries grivoises qu’il capta d’une oreille. Il aurait pu faire bien plus vulgaire sans choquer qui que ce soit dans l'assistance, et il se permit un ou deux autres couplets plus suggestifs quant à ce que pourrait manquer la demoiselle de la chanson, mais pas plus. Il ne voulait pas faire fuir ou rebuter complètement Abigail. En fait, il ne savait même pas à quoi il voulait parvenir avec elle. La sortir de cette réserve étrange où elle s’abritait, peut-être. Elle était trop étrange et elle posait trop de questions à son esprit intrigué. Comme un enfant fasciné par un animal inconnu découvert dans son jardin, il désirait la faire réagir pour savoir à quoi il avait affaire. Sa voix se fit plus douce, plus câline sur le dernier refrain.

Oh ma belle, ne me ferme pas ton cœur
Ne me ferme pas ton cœur quand nous rejoindra l’aube
Oh ma belle, ne me ferme pas ton cœur
Car c’est au mien que tu manquerais


La chanson s’acheva peu après et Felician accueillit en riant les quelques applaudissements avinés qui retentirent dans la taverne. Hélant la serveuse pour une autre pinte, il fit signe aux musiciens qu’il ne poursuivrait pas pour l’instant et ceux-ci continuèrent sans lui. D’autres avaient déjà pris le relais de toute façon et les paroles d’un air bien connu (une de ces marches stupides dont il avait horreur sur Viggo Penrod et la bataille des Flots Noirs) était déjà repris en chœur avec plus ou moins de justesse par le reste de la salle. Ramenant sa lyre dans son giron, Felician adressa un nouveau sourire à la jeune fille face à lui.

« Peut-être aurais-je du rajouter une strophe sur ta chevelure ou la couleur de tes yeux. Est-ce suffisant malgré tout pour décider que cette rencontre est plaisante ? Resteras-tu encore un peu avec moi ? »

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Ian Cigale
Ian Cigale
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Insignifiant
Ian Cigale
Lun 24 Aoû - 13:12
L'intérêt du nobliau envers la jeune femme n'était probablement pas désintéressé. Cherchait-il vraiment à en apprendre un peu plus sur elle ? Peut-être. La jeune voyante elle n'y prêtait pas vraiment attention. Elle ignorait pourquoi son chemin l'avait conduit ici, la réponse à cette question était la seule chose l'intéressant à ce moment. Elle savait qu'elle était là pour lui, mais ignorait que faire maintenant. Son regard restait rivé dans les yeux de l'homme face à elle, cherchant à avoir une réponse au travers des pupilles de Felician. Le jeune homme nota l'origine de la jeune femme, ainsi que le grand trajet. La brève confusion entre sa cité natale et la ville Rédanienne ne la dérangeait guère plus que cela.

« Témérie plutôt. Région de Cidaris, mais qu'importe, je n'ai aucun foyer là-bas. Pour autant je ne peux que vous donner raison, c'est un long voyage qui est encore loin de voir sa fin. »

Elle s'enfonça dans son siège, plongeant à nouveau son regard dans les yeux de son interlocuteur, finissant sa phrase avec un intérêt certain.

« Au moins ai-je aujourd'hui trouver une étape à celui-ci. »


Seul ce qu'elle avait à faire ici restait inconnu. Elle avait l'endroit et le moment, seul le pourquoi était absent. Cet homme avait-il quelque chose de spécial qu'elle ne connaissait point ? Était-ce un moment important ? Ou bien était-ce là qu'une ouverture sur le monde comme tant d'autres. Si elle ne voyait jamais réellement d'indice sur sa raison d'être dans ces petits événements, l'ouverture sur l'avenir des petits gens était toujours un instant intéressant. Difficile de les apprécier tout le temps en revanche, la peur dans le regard de certains, ou la haine suite à la révélation étaient fréquents. Elle sentait bien qu'il y avait quelque chose que son don souhaitait montrer à propos du jeune homme, mais elle ne pouvait encore réellement savoir quoi. Le puzzle qu'était le lendemain ne se révélait jamais si aisément, parfois il fallait un événement, une émotion pour le révéler. Parfois ce n'était qu'après avoir suffisamment vu aujourd'hui.

Après sa requête le jeune nobliau entreprit de lui faire goûter ces fameux vers. Il termina sa boisson et sortit son instrument. Un petit sourire aux lèvres Abigail observa la scène. Bière à la main elle l'écouta prépara son instrument. Si elle chantait de temps à autre elle ne pouvait guère se prétendre experte dans les arts musicaux. Lorsque les premières notes raisonnèrent, elle put juger que son interlocuteur était bien plus doué là-dedans qu'elle. Si le fond était facilement comprit, l'air entraînant et l'ambiance de la taverne faisaient le plus gros du travail pour elle. Balançant doucement sa tête de gauche à droite, frappant doucement le sol de ses pieds, elle accompagnait le rythme de la musique. D'autres instruments se joignirent à la mélodie du noble, complétant ainsi une chanson de taverne bien entraînante. Dans ses couplets Felician se faisait charmeur, cachant à peine les allusions de conquête à la jeune Source. Celle-ci sourit en retour, simplement. Il était bon de voir de la bonne humeur, de la joie par endroits, lorsque d'autres étaient dirigés par une peur et une haine omniprésente. C'était ces moments qu'elle appréciait le plus. Durant ceux-ci elle n'était plus qu'une jeune femme de 19 ans dans une taverne, profitant d'une belle musique et d'une compagnie joyeuse. Après cette chanson il revint à la table, laissant le reste de la salle portait la musique suivante. Tandis qu'elle finissait sa bière il continua avec des mots charmeurs.

« Je ne saurais en décider autrement. Cette rencontre est plaisante et je n'ai guère l'intention de quitter les lieux. Encore plus au beau milieu de la nuit, après tout pour une fois que j'ai un toit pour celle-ci, je me vois mal l'abandonner, lui et cette compagnie plaisante. »

Le sourire qu'elle portait signifiait bien qu'elle appréciait le moment. Ce genre de petits moments pleins de lumières était le meilleur moyen de se réchauffer lorsque la nuit froide était le seul compagnon de la source. Tandis que ses yeux bleus parcouraient le visage du musicien le mince sourire se dissipa quelques instants, tandis qu'elle voyait quelque chose de plus précis. Le son sembla s'atténuer un instant, tandis qu'elle continuait.

« Je vois quelque chose de particulier en vous. Au-delà de vers et sourires, je vois un cœur comblé, comblé par ce qu'autrui apporte. Pourtant c'est derrière ce beau tableau que se cache la plus terrible des rencontres. Je vois un beau lendemain, éclipser par celui qui l'anime. »


Si les mots avaient difficilement une signification pour beaucoup, le résultat des mots d'Abigail avaient toujours une réaction différente d'un moment à l'autre.
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Abigail de Roggeveen
Abigail de Roggeveen
Champion de la noblesse
Abigail de Roggeveen
Érudit
Abigail de Roggeveen
Sam 29 Aoû - 21:32
J'entends chanter la fille damnée
Sa voix égrène les malheurs à venir…

Les dents blanches de Felician brillèrent à la lueur des chandelles lorsqu’il rendit son sourire à la jeune femme.

« Alors je ne t’abandonnerai pas non plus, ma belle… »

Sa voix avait gardé les inflexions de velours qu’elle avait prises lorsqu’il chantait et il en jouait maintenant à dessein malgré le goût amer qu’elles laissaient sur sa langue. Oh bien sûr, ce n’était rien que de très normal. Depuis la nuit des temps, des garçons comme lui avaient conté fleurette aux filles comme Abigail. C’était inscrit dans la marche du monde et c’était ainsi que les humains se répandaient à sa surface, la plupart du temps. Lui aussi se livrait parfois à cette mascarade, cette comédie dont tous connaissaient les rebondissements et l’issue avant même qu’elle ne soit jouée. Et s’il avait l’impression d’endosser la peau d’un imposteur, si seul son masque de scène souriait, si l’amertume et le regret ne manqueraient pas de venir lui poisser la peau et la langue plus sûrement que toutes les étreintes qui seraient échangées, ça n’était jamais qu’une contrepartie comme une autre. Tout a un prix. Vinicio était là pour le lui rappeler quand il lui répugnait à payer…

Pourtant cette fois, Felician n’eut pas à tromper son monde en séduisant une fille pour l’abandonner d’ici la fin de la nuit. Pas alors que les mots d’Abigail lui firent perdre son sourire. Il fronça les sourcils en essayant de comprendre :

« Qu’est-ce que… »

Sa voix mourut dans sa gorge, son cœur s’emballa dans sa poitrine. En un clin d’œil, le bruit et la musique disparurent de ses sens, dispersés par les yeux d’Abigail fixés sur lui et par le battement assourdissant qui résonnait dans toute sa poitrine, dilatait ses veines sous un flot de panique. Toute une cohorte de questions affolées se mirent à bourdonner sous son crâne, les réponses fusant avant qu’il ne puisse les saisir, se dévorant les unes les autres dans une monstrueuse curée. Qui était cette jeune femme ? Que savait-elle sur lui ? À l’évidence bien des choses si elle lui parlait d’une rencontre qui l’avait comblé et dévasté à la fois. Comment l’avait-elle appris ? Comment avait-elle pu faire le lien entre lui et Vinicio, entre l’un des fils du comte d’Edrar et un de ses valets d’écurie brûlé vif pour ses penchants contre-nature ? C’était impossible, son père en personne l’avait surpris et s’était assuré que rien ne filtre, que personne d’autre ne sache. Il était impossible qu’une vagabonde témérienne fraîchement arrivée en ville ait pu- À moins qu’elle ne soit pas une simple vagabonde témérienne. À moins que le Feu éternel n’ait vraiment plus de limites ni dans la portée de son bras, ni dans le nombre de visages que revêtaient ses serviteurs…

Son instinct premier le poussa à s’enfuir. Felician le fit taire. C’était le meilleur moyen d’attirer l’attention sur lui, de nourrir les soupçons et de creuser sa propre tombe. Qui plus est, partir maintenant lui ôterait toute opportunité d’en apprendre plus sur cette fille qui n’était définitivement pas ce qu’elle prétendait et il avait maintenant besoin d’en apprendre plus. Il devait discerner son ennemi s’il voulait sauver sa peau. Aussi finit-il par éclater de rire à nouveau, bien qu’il sonnât un peu forcé même à ses propres oreilles. Qu’à cela ne tienne, il reprendrait vite contenance.

« De quoi parles-tu ? L’alcool te monte-t-il déjà à la tête ? La seule rencontre que j’ai faite récemment est la tienne. Une délicieuse fille comme toi ne va quand même pas me porter malheur ? J’en serais très chagriné… »

Ce n’était pas une menace, pas exactement. Cela sonnait plutôt comme un avertissement, voire un marché. Felician avait conscience, à chacun des coups sourds et épuisants de son cœur, qu’il n’était pas réellement en position de force malgré les apparences. Il ne devait surtout pas vexer ou mépriser cette femme qui disposait d’informations sur lui tant qu’il en ignorait la teneur. Simplement lui faire comprendre qu’elle avait malgré tout intérêt à parler avec mesure elle aussi. N’importe quel chasseur le dirait : une bête acculée n’a plus rien à perdre et Felician se considérait davantage sanglier que cerf. Faire volte-face et charger celui qui le traquait ne lui poserait aucun de conscience si cela devenait sa seule porte de sortie.

« Ne trouverais-tu pas cela triste également, ma jolie ? »

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Ian Cigale
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Insignifiant
Ian Cigale
Dim 6 Sep - 10:57

Pour bien des gens cette journée pourrait-être considérée comme étrange. Pour la jeune source c'était une autre page d'un long journal, similaire en bien des points aux autres. La forme ne changeait pas, seul l'histoire contait différée de celle d'hier et de demains. Si Abigail doutait toujours de son rôle ici bas, elle se fiait en le destin pour la guider là ou elle devait être chaque jour. Les rencontres qu'elle faisait n'était pas le fruit du hasard, exprimer ce qu'elle voyait était sans doute une partie de son rôle dans la vie. Elle ne voyait que rarement, pour ne pas dire jamais, de réactions heureuse de ses mots. Probablement était-ce de sa faute, si l'acte était utile, les gens ne pouvaient que craindre, ou refusait de croire, ce que voyait la source. Sans-doute le faisait-elle mal. Mais ici encore, elle n'avait aucune idée de comment faire pour éviter ces réactions craintives. La question était toujours difficile, comment expliquer à ceux n'acceptant qu'à peine la magie qu'elle pouvait entrevoir des morceaux du temps hors de leur place ? Comment expliquer qu'au travers des yeux de quelqu'un elle pouvait apercevoir la gloire ou la ruine de leur avenir ? Comment dire à ceux qui ne croyaient pas qu'aujourd'hui elle pouvait peindre un tableau de demain ? Parmi tant d'autres cette question tournait dans l'esprit de la voyante. Il lui était impossible d'obtenir une réponse de quelqu'un d'autre, tant personne ne pouvait voir ce qu'elle voyait. La sagesse de certains aidait, mais elle était certaine qu'elle seule saurait offrir une véritable réponse à cette question. Le nobliau face à elle ne semblait par réagir différemment, lorsque la dépiction d'Abigail lui parvint, il sembla troublé, inquiet, incapable de comprendre. La voyante n'arborait plus de sourire, désormais elle commençait à craindre les réactions de certaines personnes. L'incompréhension chez Félis était perturbante, elle ne savait que dire pour passer cet instant. Le musicien rigola à nouveau, le ton était différent, forcé, encore perturbé. Il n'était plus serein, voilà bien un certitude.

Il reprit finalement la parole, il semblait avertir la jeune Abigail, visiblement il prenait plus ou moins les mots de la source comme une menace à son encontre. Ou tout du moins il craignait ces mots. Felis soupçonnait que les mots d'Abigail la concernait, autant que lui. Elle ne bougea pas, elle n'avait guère confiance en cette situation précaire. Il termina par une question pour la voyante, lui demandant son avis sur la chose. Abigail leva la main, la secoua légèrement ainsi que sa tête, tentant de s'extirper de la situation.

« Non, non. Vous vous méprenez. Ce que je vois ne me concerne pas. Ce n'est pas quelque chose que... »

Elle arrêta sa phrase. Comment expliquer ceci à quelqu'un, sans causer plus de mal qu'autre chose ?

« Ce tableau ne représente ni hier, ni aujourd'hui. Je ne peux que vous en donner les couleurs et formes, à voir d'en connaître le fond. Je ne dis pas cela pour vous porter préjudice, bien loin de là. Je ne vous dis cela que pour vous armez face à ce qui peut-être dangereux pour vous. »


Son regard se détourna du noble. Elle n'était pas très douée dans ce domaine. Elle ignorait pleinement comment faire en sorte que la personne dont elle voyait un fragment de l'avenir se prépare pour les vents du lendemain. Encore moins pour qu'elle soit crédible, sans pour autant risquer des malheurs.
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Abigail de Roggeveen
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